S’APPROPRIER UN LIEU STIMULANT
Dans la tradition, chaque LIEU était occupé par un corps de métier différent : il y avait le moulin du meunier, la forge du forgeron, la carrière du tailleur de pierres. Dans notre modernité, l’attachement aux lieux prend la forme d’un « dehors » celui de nos espaces de vie : la maison, l’école, l’entreprise, les nouveaux espaces collaboratifs… que nous occupons, au sein desquels nous agissons et dont nous faisons partie.
Le lieu peut être également visité comme un « dedans », celui de son propre corps parlant, de ce qui pourrait constituer pour chacun d’entre nous notre hameau de liberté, couplé dynamiquement à l’existence humaine et à notre vie psychique où habite la parole d’un sujet. Ces lieux du dedans-dehors fonctionnent comme des frontières dont la solidité est mise à chaque instant à l’épreuve par la perte du lien et du sens au profit du culte totémique de la performance au travail.
Parler d’espace ou de lieu devient fondamental dans notre monde actuel et ce n’est pas la même chose ! Georges Perec écrivait dans Espèces d’espace que l’espace « est un « doute » : « L’espace est un terme dont les origines restent obscures, jamais totalement élucidées qui désigne une entité changeante, flottante, indéfinie », une sorte d’inquiétante étrangeté ! Alors que le mot « lieu » du latin locus est mieux connue pour désigner une étendue limitée, un « topos » d’où l’on pourra agir et trouver une place. Chez Aristote, il est « une limite immobile immédiate du contenant ». La caractéristique première du lieu c’est qu’il est habitable par l’homme par opposition à l’espace. C’est une enveloppe occupée par un corps avec toute sa matérialité ( physique, psychique, langagière, culturelle et sociale) et qui est toujours et avant tout un lien.
De nos jours, dans ces grandes tours ultra-modernes qui viennent défier le ciel, les étages abritent multiples métiers commerciaux, financiers, ingénieurs, consultants et autres professions évoluant dans des environnements collaboratifs et communautaires. De cette mobilité connectée (nomadisme, mode collaboratif, télétravail, travail virtuel, …) s’ouvrent des territoires sans limites qui peuvent devenir très vite des espaces anonymes. Ces modes d’organisation du travail attribuent de fait une place particulière, choisie ou subie, au manager : celle du « nomade numérique en ligne ou hors-ligne » quel que soit l’endroit où il se trouve. Ces pratiques professionnelles sont ainsi marquées par une « trans-hybridation » avec de nouvelles spatialités et temporalités : déjà plus deux millions de slasheurs en France, les doubles carrières sont de plus en plus plébiscitées, l’entrepreneur alterné devient la compétence fondamentale à développer.
Dans cette mouvance migratoire d’un monde à l’autre, les personnes qui nous sont les plus proches peuvent être à l’autre bout de la planète pendant que nous avons à côté de nous de parfaits inconnus, cela interroge sans aucun doute le lien social. Qu’observe t-on dans le comportement de ces voyageurs professionnels aux trajectoires composites ? Ils sont à la recherche de nouveaux espaces de travail physiques – coworking – ateliers collaboratifs (fab lab, maker space, TechShop, hacker space…) et d’espaces de savoirs partagés (labs, hubs, incubateurs, accélérateurs…). Que cherchent-ils vraiment dans ses mondes intermédiaires ? Du lien ? Du sens ? Des opportunités d’échanges par la rencontre apprenante ? Réinvestir la matérialité de l’objet ? Et pourquoi pas trouver tout simplement un lieu pour se poser ? Trouver un lieu c’est comme trouver une salle de concert remarquable pour un ingénieur acoustique. Mais attention, une pièce de bois maladroitement positionnée pourra interférer avec la perfection rêvée d’une acoustique maîtrisée !
Dans cette nouvelle ère de l’humain digital, le praticien de l’accompagnement portera une attention particulière à ce que la personne puisse « mettre en danse » cette colonne musicale intérieure parfois bien chahutée dans cette nouvelle modernité : revisiter son projet de vie, interroger ses pratiques professionnelles, ses modes de liberté et d’innovation peuvent permettre d’investir à nouveau pleinement les lieux. S’approprier un lieu sécurisé et stimulant, c’est travailler sur sa dynamique personnelle et professionnelle par le travail du dedans-dehors pour que le lieu devienne habitable : sans lieu, il devient difficile de trouver sa place. Comment ce lieu se construit-il ? Comment se transforme-t-il ? Comment dérive-t-il ou, à l’inverse, comment se fixe-t-il en son point d’origine ?
Aurphilìa propose un cheminement par le dialogue et la confrontation bienveillante pour retrouver ce lieu de l’origine (histoire familiale, sa propre culture, son lien au travail,..) au sein duquel peut résonner tout ce que l’on est, de façon singulière et harmonieuse. Dans cette nouvelle économie collaborative, l’enjeu majeur est, pour chaque personne accompagnée, de retrouver sa propre navigation astronomique pour aller à la rencontre de l’altérité et traverser avec résilience de nouvelles expériences stimulantes.
Dans son livre Psychologie et environnement, Ghozlane Fleury-Bahi démontre que l’identification aux lieux de vie pouvait être liée à l’identification sociale et à l’estime de soi. L’étude des processus psychologiques impliqués dans le développement de l’attachement aux lieux de vie, par ailleurs, a permis de préciser que s’identifier à un lieu c’est également développer des liens émotionnels à son égard.